Le barman du Goodbar
Montréal, mardi 22/12/2015, 17:51:32
Quand il arrive au Goodbar, qu’il gare sa voiture sur la glace tôlée et souillée du parking surplombant la rivière, le froid l’enserre comme une amante hystérique.
Le Goodbar est un bâtiment isolé, un hangar à bateaux désaffecté, semblable à une coque de cargo bariolée de couleurs criardes, retournée sur un champ de neige grisâtre au bord de la coulée de glace tourmentée du fleuve. Des pulsations rythmiques de basses donnent l’impression que le cœur du navire moribond persistait à battre. Quand Michaelis franchit la double porte capitonnée, il reçoit en plein crâne le coup de poing d’une musique rauque, sauvage, qui le met groggy… La grande salle est pleine, enfumée, surchauffée… Du plafond, des projecteurs mobiles brassent en tous sens l’air boueux de leurs faisceaux de lumières aux couleurs crues. Au centre, sur une estrade en S dont un côté se perd dans une des parois, dont l’autre se termine en bar, quatre travestis, slips à paillettes minuscules, dansent. Un peu partout des couples d’hommes, tenues très moulantes, s’enlacent. Forant son chemin dans leur masse compacte, Michaelis s’approche du bar. Il fait signe à un des barmen, jeune homme d’environ vingt-cinq ans, torse nu, cheveux très courts, maquillage agressif, portant en boucle, à l’oreille droite, une très longue plume rouge qui, dans ses balancements, lui caresse sans cesse l’aréole des seins. Pas facile de s’expliquer dans l’orgie de musique… Michaelis tend la photo de Kharamidov. Le barman, inclinant avec grâce la tête sur son épaule gauche, accompagne l’ouverture souple de ses mains d’une moue négative. Il va montrer la photo au second serveur, éphèbe iroquois, crête immense de cheveux verts tombant en queue dans le dos, multitude d’anneaux de couleurs ourlant les oreilles. Ils parlementent quelques secondes… L’Iroquois prend la photo. Faisant de la tête un signe d’acquiescement, il s’approche de Michaelis, hurle : “Oui, je connais !"
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