Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

20 décembre 2005

La débrouille

Paris, lundi 21/12/2015, 19:20:60

Sidney est allongé, dans son minuscule taudis, sur le lit crasseux qu’il ne refait jamais. Il a le regard perdu dans le trou opaque de saleté qui lui sert de fenêtre. Il donne sur un mur décrépit, noir de chiures de pigeons, fermant un des côtés du puits obscur qu’est la cour intérieure de l’immeuble. Quand il n’est pas poussé par une nécessité vitale, il passe ainsi une bonne partie de son temps. Il n’a rien d’autre à foutre. Rien ne l’intéresse vraiment. Sa vie est comparable à celle d’un potiron, conscience en plus — du moins son embryon. La plupart du temps, il “pense”… C’est-à-dire s’emmerde, attend dans une vague paralysie des sens — plus ou moins entretenue par l’alcool ou les joints — que le temps passe, que quelque événement vienne l’en tirer. Il peut rester ainsi des heures dans une semi-obscurité n’ayant ni l’envie de bouger, ni celle de rester là ; incapable pourtant de trouver la moindre motivation qui l’obligerait à fournir l’effort minimal nécessaire pour se lever, enfiler un vêtement, sortir.

Sa vie de jeune fauve ne nécessite du mouvement que pour satisfaire ses besoins primaires. Lorsqu’il est repu — ou sait qu’il peut l’être sans effort — leur satisfaction lui interdit toute autre activité. D’une certaine façon, il lui semble parfois préférable d’être affamé. Il est devant la nécessité absolue de s’activer… Dans sa solitude, son inactivité, sa vie ne vaut pas vraiment la peine d’être vécue.

Depuis plusieurs jours, il est sans nouvelles de son ami Ouzbek. Hamid ne lui a pas donné le moindre signe de vie. Même s’il ne veut pas se l’avouer, ce silence l’inquiète. Malgré sa jeunesse, peut-être grâce à cette sensibilité instinctive des rapports humains forgée dans les aléas d’une enfance des plus difficiles, Sidney se rend bien compte que leur relation est des plus ambiguës. Lorsque Hamid l’a ramassé à Barcelone, il avait quatorze ans, rôdait désœuvré dans les bas-fonds du Bario Gotico où, après l’avoir tiré de l’espèce de cour des miracles qu’était sa famille, l’avait conduit un vagabondage irréfléchi. Il survivait là d’expédients divers, proie facile pour tous ceux, qui pour une raison ou une autre, cherchaient des bras, ou des corps. Quand l’Ouzbek lui avait proposé d’aller manger avec lui, il faisait la manche près de la cathédrale. Bien sûr, il n’était pas dupe : il savait qu’il était plutôt beau gosse, plaisait à toutes sortes de mecs, que ce “repas” risquait fort de se terminer dans un pieu. Ce n’était pas la première fois qu’il acceptait de se vendre. Ce ne serait sûrement pas la dernière. C’était un moyen plutôt commode, peu dangereux de survivre. La débrouille.