Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

23 février 2006

Solitudes

Paris, mardi 22/12/2015, 24:31:35

Dani fait signe à sa compagne et à Sidney de s’avancer. Il leur demande de se tenir debout, face aux convives assis, près de celui qu’il appelle Maître:

- Voici Ariana, une amie… Sidney, un ami aussi. Il a déjà travaillé pour notre cause!
- Je m’appelle Boèce, Boèce de Dacie… Ariana et Sidney, asseyez-vous. Prenez place parmi nous. Vous êtes bienvenus!

Les convives répètent: “bienvenue!"

- Viens, Ariana, près de notre frère Télamon. Sidney, accepterais-tu de prendre place auprès de Moéra, dit-il désignant parmi les assistants une jeune fille brune souriante qui se manifeste d’une inclinaison de la tête.

Un peu désorienté par la tournure des événements, habitué ni à un tel décor ni à un tel cérémonial, Sidney ne dit mot. Il se dirige vers la jeune fille. Ses voisins se déplacent pour lui faire une place. La jeune fille lui sourit. L’oblong de son visage est parfait, sa peau très fine, blanche, rosissante. Sous ses grands cils noirs, son regard est d’une extraordinaire profondeur :

- Bienvenue, dit-elle, offrant à Sidney ses joues pour un baiser.
- Merci, dit Sidney, incapable de trouver autre chose à dire et se reprochant aussitôt sa gaucherie.
- Si vous en avez envie, dit le petit homme, n’hésitez pas à vous servir, buvez, mangez… aussi longtemps que vous le désirerez, vous êtes ici chez vous. Tout ce qui est à nous est à vous.

Puis il ajoute:

- Lorsque vous êtes arrivés, nous parlions de la solitude. Chacun d’entre nous faisait part de son expérience particulière. C’était au tour d’Hélène, je crois!

À la gauche de Sidney, une jeune femme rousse, cheveux très bouclés, trente ans environ, prend la parole. Voix blanche, absente:

- J’ai vécu si longtemps seule… Si longtemps… C’était un cauchemar… Vous ne pouvez imaginer. Quand père est mort, j’étais très jeune… À peine quatorze ans!

À tour de rôle, chaque convive décrit son expérience personnelle de la solitude. Sans savoir pourquoi, Sidney trouve passionnants tous ces récits de détresse, à la fois si semblables dans leur banalité, si particuliers dans les intonations comme dans les degrés de souffrance que chacun y exprime. Il ne peut s’empêcher de se sentir concerné… Bien que tous ces hommes et femmes aient vécu des événements différents des siens, tous, comme lui, ont éprouvé un profond sentiment d’inutilité, l’impression d’être un animal encagé ne sachant à quels barreaux cogner sa tête pour se rappeler qu’il lui fallait vivre… Aussi, quand le Maître lui demande s’il voudrait bien, lui aussi, faire part de son expérience, son intervention lui semble naturelle. Il parle sans gêne:

- …Être seul… me suis souvent demandé ce que c’était que pas l’être! Bien sûr j’ai eu des potes… En fait, un ami… un seul… mais ça pas duré, m’a laissé choir… j’arrive pas bien à piger ce que c’est que de ne pas se poser la question de la solitude. Comment pas être seul? Comment expliquer, alors que tout môme j’étais déjà seul, que j’ai jamais connu autre chose? Comment expliquer que j’ai toujours pensé qu’y avait autre chose. C’est comme si je délirais sur être martien ou neptunien. Être riche, encore, je peux piger! J’ai eu du fric, parfois pas mal… Mais ne plus être seul, ne pas être deux ou plusieurs pendant quelques heures, mais être si sûr de plus être seul que la question se poserait même plus. Chais pas, je dois dire des conneries, j’ai souvent l’impression que c’est comme si on arrêtait pas de rêver. Rêver c’est chouette parce qu’on sait qu’y a autre chose. Des fois, j’aime bien rêver comme ça… la solitude c’est comme être enfermé dans le rêve. Doit y avoir autre chose, j’le sais, sûr, mais j’sais pas quoi ni où, ni comment y aller!