Virtualiser le monde

Londres, jeudi 24/12/2015, 01:28:60

- Pas désagréable cette partie! dit Peter Trilby, suant, se laissant choir dans le fauteuil de toile du bar de son club de squash, tu as beau m’en vanter les mérites, aucun jeu virtuel ne remplacera les joies de la réalité concrète.
- Sauf que tu ne pourras jamais, dans la réalité, affronter le champion du monde, ce que tu peux faire avec n’importe quel simulateur de réalité virtuelle, répond Blaise Carver.
- Peut-être, mais c’est pas pareil, à moins de s’enfermer dans les combinaisons à capteurs, on n’a pas les sensations que l’on éprouve dans le réel. Moi, j’aime jouer en short, bras nus quand il fait beau, parfois même en maillot de bain.
- Tu es un vieux jouisseur!… Bien sûr, on n’a pas encore trouvé le moyen de projeter sur ton corps des flots d’ondes qui te donneraient l’illusion des contacts réels, mais on finira bien par y arriver… On n’arrête pas le progrès.
- Tu parles!
- Tu es un vieux pessimiste irrécupérable.
- Tu ne vas pas me dire, ironise Peter, que tu aimes autant faire l’amour, même avec les combinaisons suprasensibles, avec n’importe quel fantasme du réseau cybersex qu’avec Laurence?
- Un peu facile pour le philosophe que tu es… rétorque Blaise, s’il n’y avait entre Laurence et moi que du sexe, je ne sais pas si je verrais une réelle différence! Je crois même que, d’une certaine façon, le cybersex est plus adapté aux mécanismes fantasmatiques de l’érotisme. Tu sais bien, comme moi, que l’essentiel du plaisir vient de l’imaginaire.
- C’est juste… Mais l’imaginaire, pour se développer, a besoin du substrat concret du monde matériel.
- Pas si sûr; le coupe Blaise. Certains réseaux cybersex puisent leur succès dans une coupure totale avec le monde que nous connaissons… tu peux t’imaginer faire l’amour avec des créatures venues d’autres planètes, avec des mélanges inouïs de monstres, même avec des clones de toi-même. Tout est possible.
- Même virtualiser Laurence!
- D’une certaine façon, oui! Matériellement, oui… Pas amoureusement. Tu sais bien que l’amour et l’érotisme, même s’ils se rencontrent parfois, sont deux sentiments différents!… J’aime Laurence, c’est autre chose!
- Les vieux esprits animaux resurgissent. Fantasmes archaïques. Il y aurait entre vous deux quelque chose comme un fluide mystérieux insaisissable, quasiment divin, une union des âmes.
- Ton ironie est un peu lourde… Tu ne peux quand même pas nier l’amour?
- Bien sûr que non, ce que je critique c’est que tu le mettes à l’écart des phénomènes physiques. Le sentiment d’amour naît d’un ensemble de sensations physiques, de contextes de sensations particuliers… comme l’érotisme. Peut-être simplement un peu plus complexe… et, dans ce cas, il doit pouvoir être simulé comme n’importe quelle sensation, on doit pouvoir te rendre amoureux fou de créatures virtuelles!