Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

16 juillet 2006

Vivre à Norilsk

Norilsk, vendredi 25/12/2015, 24:45:30

Irina Karaminskaïa regarde Noël basculer vers le 26 Décembre.

L’avant-veille, profitant d’un hélicoptère de surveillance écologique, elle a quitté Oléniek pour Norilsk, un semblant de ville où, baignant dans la nostalgie de son âme romantique russe, elle pensait trouver un peu de réconfort pour les fêtes. Son survol des marécages sibériens, aux neiges souillées des multiples pollutions noirâtres des exploitations pétrolières, n’a pas contribué à remonter son moral. Irina aurait aimé vivre au dix-neuvième siècle. Elle s’imagine en longue robe de soie noire, manteau de zibeline, rendant visite dans des territoires immaculés et vierges au jeune comte-poète-amour-de-sa-vie. Bien entendu, leurs amours auraient été contrariées. Très jeune, elle aurait été mariée contre son gré à un vieux prince richissime. Le bon comte serait ruiné, mais leur amour aurait triomphé de tous les obstacles… Au lieu de cela, elle se retrouve seule, perdue au fond de la Sibérie pour fuir un écrivain moscovite qu’elle aime, qui l’ignore et dont même la dernière photo vue sur le webzine “Pravda” ne parvient pas à la distraire. Son seul “ami” est un ami virtuel dont elle n’a jamais vu le visage, qui se cache elle ne sait où dans le monde, qui ne la touchera certainement jamais, dont elle ignore tout. Même s’il a une existence réelle.

Elle ne parvient pas à trouver le sommeil…

Malgré ses cent mille habitants, Norilsk est une ville sinistre. La jungle comme partout. Peut-être plus ici encore que n’importe où ailleurs. Autrefois ville d’exploitations minières, elle n’est qu’un ramassis en décomposition de vieux immeubles plantés dans la neige boueuse, alignés en casernes. Y subsiste une population sans activité réelle consacrant son temps à désépaissir son ennui dans la limpidité vénéneuse de la vodka. Trafics en tous genres, braconnage, mafias… sont l’essentiel de la vie sociale. Irina a vite renoncé à un lieu public où elle aurait trouvé un peu de chaleur humaine. Elle s’est réfugiée dans ce vieil hôtel minable — l’Ukraïna. Elle y a trouvé une chambre à peu près propre. Depuis la veille, elle n’en est pas sorti. L’âme humaine est pétrie de contradictions, Irina a fui la civilisation. Parfois, elle la regrette.