Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

22 janvier 2006

La rue

Paris, mardi 22/12/2015, 21:37:41

Sidney, serré dans son nouveau blouson de cuir vernis, sort de chez lui… Sous le porche de son immeuble, il prend, comme à son habitude le temps d’échanger quelques plaisanteries avec la fille qui tapine dans le froid, une vieille habituée, grosse, fesses à l’air, seins comme des potirons rougeauds débordant d’un bustier outrageusement petit et serré, bouche massacrée d’un rouge agressif baveux. Sidney ne s’en étonne pas. Il sait depuis longtemps qu’en matière de sexe tous les goûts sont dans la nature, que ce qui compte est davantage le cinoche qu’on se projette, que la réalité. Ça permet à chacun de trouver son pied. Chacun gagne sa croûte comme il peut.

Depuis quelques jours, Sidney n’a plus trop à se fatiguer. Il lui reste encore quelques réserves. De quoi tenir un peu. Lui donnant la Visa remise en paiement, il a “ouvert un compte” chez le loufiat turc du passage du Caire. Il a le droit d’y bouffer pendant un mois… Comment l’autre se démerde pour récupérer son pognon? Par quels circuits il fait transiter les comptes? Ce que ça lui rapporte? Pas son affaire. Sidney sait qu’il a trente jours sans se soucier de trouver à bouffer. Ça, c’est fantastique. Il a le temps de voir venir… Après, c’est le big quake !

Sidney n’est pas pressé… N’est jamais pressé… C’est peut-être là son drame, un sentiment permanent de vide et d’inutile, la sensation constante qu’il n’est que devant des espaces blancs où, quoi qu’il fasse, il ne trouvera jamais rien d’intéressant. Rien qui lui fasse percevoir que vivre est autre chose que survivre ; que d’une certaine façon, il participe à quelque chose…

Comme tous les soirs à la montée de la nuit, la rue grouille d’une humanité indéfinissable: joueurs de bonneteau cradingues entourés de barons transparents piétinent des heures durant dans l’attente de l’improbable imbécile qui, se laissant prendre aux ruses grossières de leur jeu, leur permettra de transférer l’avoir de sa smart card dans leur caisse. Guetteurs postés aux angles des rues signalent l’arrivée des rares véhicules de police. Indics dissimulés sous des rôles improbables. Voleurs à la tire jouant le rôle de passants intéressés par les filles. Maquereaux discutant en groupes. Mômes paumés. Vendeurs de sandwiches roulés dans du papier journal gras ; ivrognes titubants. Drogués hagards ou pliés en deux dans la souffrance de leur manque. Petits voleurs proposant à la sauvette le troc de marchandises d’origine douteuse ou prenant des commandes auprès des filles postées dans les encoignures de portes… Tout ce monde-là, feint d’être affairé, mais attend, dans un mou désœuvrement, le rare touriste égaré, l’automobiliste prudent qui, de sa voiture soigneusement verrouillée, observe, langue pendante, braguette entrebâillée, ces filles qu’il n’ose s’offrir, ou l’amateur de frissons pervers venu se frotter un temps au vice avant de regagner tranquillement la chaleur cadenassée de sa villa proprette de banlieue…