Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

27 décembre 2006

Mystiques arabes

Paris, mardi 29/12/2015, 01:52:05

Alcathe a quitté la cellule du Maître, est retourné dans la sienne où il a trouvé des vêtements confortables, s’est changé puis, sans que personne ne l’accompagne, a quitté l’hôtel Saint-Aignan pour ne plus y revenir.

Pas question de se laisser gagner ni par le rêve, ni par la nostalgie: il s’agit de faire le vide. Alcathe s’extrait de la vieille couverture de Sidney, se lève de son lit, commence à rassembler les quelques papiers qui étaient autrefois les siens: une photo qui le montre à Barcelone en compagnie de l’Ouzbek, une carte d’identité, la smart card que Daniar lui avait remise après son expédition à Avon. Il entasse tout cela dans son évier, y ajoute des papiers, y met le feu… Ses biens se montent à peu de choses : ses vieux vêtements élimés qu’il jettera dans une poubelle avant de prendre son train pour Venise, deux verres ébréchés, une assiette, un archaïque briquet à gaz doré, quatre livres, une gravure sous verre qui lui restent du pillage organisé chez le vieil homme. Il ne doit pas laisser de traces. Il jette le briquet par le vasistas, l’entend tomber sur un des toits de zinc, glisser dans une gouttière. Il brise le sous-verre, jette la gravure dans le feu de son évier. Il prend les livres, ouvre le premier pour en déchirer le pages et le brûler. Machinalement, il lit la page de titre: “Durrat al-fâkhirah fî dhikr man intafa’tu bihi fî tarîq al-âkhirah, Perle précieuse sur ceux qui m’ont aidé sur le chemin de l’Autre Monde” de Muhyî ad-Dîn Ibn’Arabi, traduit de l’arabe andalou par Léon Redor, publié en 2009 aux éditions Orientales. Sur cette même page, un tampon à l’encre rouge: Léon Redor, 33 rue de la Haute-Bercelle, 77210 - AVON (France, Europe). Ainsi l’homme qu’ils avaient agressé devait être le traducteur de ce livre. Ça ne doit pas être facile à vendre. Alcathe déchire les pages une à une, les fait brûler, vérifiant soigneusement que tous les fragments en soient détruits. Puis il passe au second: “Rûh al-quds fî munâçahat an-nafs, l’esprit de Sainteté dans la guidance de l’âme”, même auteur, même traducteur, même éditeur, mais publié en 2008. Ainsi cet homme aussi s’intéressait à la mystique… Cette coïncidence amuse Alcathe. Le troisième intitulé “Al-Futûhât al-Makkiyyah” du même auteur, traduit en 1991 par un nommé S..R.P. Austin sans titre français, porte le même tampon rouge. Comme d’ailleurs le quatrième : “Mahâsin al-majâlis” de Ibn al-’Arîf traduit et édité à Paris en 1933 par un nommé Palacios. Léon Redor aimait beaucoup la littérature arabe. Alcathe ne voit pas bien à quoi ce genre de livre peut servir.

Dans la poche droite de l’anorak de nylon noir qui lui a été donné, il prend la petite boîte de carton qui contient le signe de reconnaissance dont lui a parlé Boèce de Dacie. Il l’ouvre. Enveloppé dans du papier de soie, un médaillon : une broche, plutôt, comme en témoigne l’épingle à son revers. Des baguettes serties de brillants encadrent un décor “art déco”. Le cœur est constitué d’un semis de fleurs sur fond de feuillage en émail bleu. Les fleurs semblent être autant de pierres précieuses : rubis, émeraudes, améthystes… Au centre, deux lettres en or entrelacées : un S, un P… Alcathe, surpris, l’examine attentivement : il connaît cette broche, l’a déjà vue. Il s’en souvient très bien car c’est le dernier cadeau qu’il a fait, il y a une quinzaine de jours, à son ami Ouzbek avant son départ pour l’Amérique. Il s’en souvient d’autant plus qu’il l’avait fauché la veille à un inconnu qui avait eu la mauvaise idée de venir rôder dans le passage du Caire et qu’il avait coincé pour le dépouiller avec deux autres gamins du quartier. Ils n’en avaient pas tiré grand-chose: cette broche, une montre quelconque, une paire de bottes, un blouson pas tout à fait neuf… La coïncidence est tout de même étrange! Ce souvenir fait sourire Alcathe: ainsi ils avaient taxé un “missionnaire”! Au moins il faudra que ça lui serve de leçon; pas question qu’à Venise ce soit lui le pigeon. Il connaît la musique, ça devrait se passer sans problèmes. Alcathe épingle la broche à l’intérieur de la poche intérieure gauche de sa veste; pratique: facile à montrer, pas facile à faucher.