Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

15 mai 2006

Perdu dans la tourmente

Saint-Pierre-des-Tripiers, vendredi 25/12/2015, 14:25:60

Sur le plateau, la tourmente est sauvage. Un vent furieux souffle, siffle, soulève avec rage des masses de neige auxquelles, dans toute l’indéfinition de l’espace, il fait tourner des valses diaboliques. André Pagès avance avec peine. La visibilité est nulle… Presque… Il s’est laissé surprendre. Malgré sa parfaite connaissance des causses, son habitude du climat, quand il a décidé d’aller prendre l’air, il n’a pas prévu que le vent se lèverait si vite, avec une telle puissance. Il n’est pas allé loin de chez lui. Trois kilomètres, quatre tout au plus… Dans les gouffres de ce torrent de neige qui dévore l’espace plan du plateau, il est comme emporté, traîné d’un arbre à l’autre, d’un rocher à un rocher semblable, d’une illusion à l’autre. Il est perdu… Deux heures qu’il cherche son chemin… De temps en temps, sa main gantée de mitaines rencontre un arbre, ses pieds butent sur un muret effondré de pierres sèches, une amorce de chemin creux dans la neige, qui lui rappellent vaguement quelque chose. Mais il n’a aucune certitude. Visage fermé dans un gros cache-col raidi par le froid, la neige, fondue par son haleine puis gelée en surface par le vent, les yeux plissés, à peine visibles sous la visière cartonnée de son passe-montagne de laine, faible protection contre les flocons gelés que le vent excite comme autant d’insectes furieux, il avance, à la recherche d’un repère fiable, pas à pas, avec difficultés. Deux heures qu’il tâtonne. La fatigue le gagne mais il n’a pas le droit de s’asseoir pour se reposer: l’assoupissement confortable du froid le guette. Comme tant d’autres, il risque de ne jamais se réveiller.

Il marche. Très lentement, à la recherche d’un indice quelconque qui lui permettrait de se repérer. Il s’agit de ne pas s’éloigner. Il pense ne pas être trop loin de l’ancien chemin pavé qui le conduirait directement au village mais comment savoir? Si au moins il s’était contenté de se promener sur un sentier plutôt que de partir à travers le causse!… Théoriquement le chemin aurait dû être sur sa gauche… Il n’a toujours rien trouvé. Dans cette purée neigeuse, il y a bien des chances qu’il tourne en rond… Enivré par les tourbillons de neige, il a beaucoup de mal à maintenir son esprit en éveil, réfléchir pour adopter une attitude logique… Quand la tourmente s’est levée, il était au-dessus du village, à environ trois kilomètres, en direction des forêts qui descendent vers les gorges de la Jonte. Il n’a toujours pas rencontré la forêt, il doit donc être encore sur cette portion de plateau où se trouvent les anciennes pâtures. Il pense être revenu sur ses pas: l’essentiel est de ne pas avoir dépassé le village car, alors, avant la descente sur le Tarn, s’ouvriraient devant lui quelques dizaines de kilomètres d’étendues désertique. Dans ce cas, il n’arriverait jamais au bout… S’il avait dépassé le village sur la gauche, il aurait dû couper le chemin pavé… difficile de ne pas le voir! Sur la droite, par contre, peu de repères à part une ou deux ruines sur lesquelles il a peu de chances de tomber. Il doit donc avancer résolument vers la gauche… Au pire il s’éloignera du village mais, comme le chemin vient en droite ligne depuis l’ancienne route, il ne devrait pas le manquer. À moins que dans l’absence complète d’indices il ne tourne en rond. La chute de neige, le vent sont si violents que ses traces s’effacent derrière lui… Ne pas céder à la panique… Se tenir à son raisonnement… Essayer…