Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

12 février 2007

Bombes logicielles

Saint-Pierre-des-Tripiers, mercredi 30/12/2015, 06:06:06

Même ce qu’il a découvert sur Sarpedon n’arrive pas à provoquer chez André Pagès d’autres sentiments qu’une vague surprise ironique: ainsi les hommes sont capables de ça… Ces fragiles petites choses, dont le désert humain qui l’entoure témoigne de l’aspect transitoire, peuvent s’agiter, mourir, se passionner, tuer pour, un temps, occuper le devant d’une scène sans spectateur? Ironique, du haut de sa montagne vide, André-Jeff regarde les mouvements désordonnés de la fourmilière. Il ne comprend pas leurs motifs. Après tout, qu’importe. Son regard se niche entre les poutres torturées de la pièce.

Jeff a longuement analysé les logiciels envoyés par Irina. Ça n’a pas été facile… Il lui a fallu faire appel à toutes ses ressources, poser des questions à de multiples forums tout en évitant d’être trop explicite afin qu’on ne puisse pas deviner ce qu’il cherchait réellement, solliciter nombre de ses relations du réseau, fragmenter l’information, puis reconstruire le puzzle. La veille, vers dix heures, il y était enfin parvenu. Bien qu’il soit blasé, s’attende à tout de la part des hommes, le résultat l’a stupéfié. Les logiciels de Sarpedon font un arsenal redoutable conçu pour une forme de guerre moderne: la guerre de l’information. Jeff n’a pas pu les interpréter tous mais les quelques uns dont il a compris le fonctionnement ont suffi à lui donner une idée assez précise de leurs rôles. Pour l’essentiel, il s’agit de petits programmes dormants dans des coins de fichiers, implantés de façon à passer inaperçus, prêts à se mettre en œuvre dès qu’un signal anodin leur est envoyé. Leur cible sont les centres nerveux d’information de la société moderne qu’ils ont pour fonction de paralyser, rendre fous, détourner de leurs buts. L’essentiel de la stratégie de Sarpedon réside dans la simultanéité et la diversité des attaques. Jeff a repéré plusieurs cibles.

D’abord les centres téléphoniques. Des bombes virtuelles implantées dans certains systèmes ont pour mission de s’attaquer à leur numérotation pour la rendre inefficace : un usager croyant appeler un parent ne saura pas qui il obtiendra au bout du fil. D’autres, pour paralyser les réseaux, vont lancer des millions d’appels simultanés. Le but en est évident. Pendant un temps qui peut être assez long — celui de détruire les bombes virtuelles — toutes les communications seront désorganisées, les zones attaquées se verront renvoyées un siècle en arrière, à l’époque des échanges directs. Le temps de réaction sera considérablement retardé. L’effet de surprise déstabilisera la population comme les décideurs. Chacun se verra enfermé dans sa sphère physique de décision. La nécessaire coordination des sociétés technologiques sera mise à mal, leur survie mise en jeu. Le Président d’un état quelconque, responsable d’une population devenue muette et invisible, soudain seul face à lui-même, sans informations ni moyen d’action, sera plus démuni qu’un chef de horde… Le monde deviendra aveugle, sourd, muet.