Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

11 mars 2006

Des travailleurs bien volontaires

Londres, mercredi 23/12/2015, 23:46:30

Elstir avait été très heureux de sa découverte des textes cachés dans les images de Kharamidov mais, mis à part Rachel et Joseph à qui il avait envoyé un mail, il n’en avait parlé à personne. Il ne savait pas pourquoi mais il lui semblait qu’il tenait là une piste intéressante et comme les événements s’étaient accélérés… La performance mondiale de Kharamidov, les diverses annonces dans la presse virtuelle, les informations que Djeff lui avaient fait parvenir provenant de l’ordinateur de la police de Montréal, tout cela lui confirmait que, malgré les allusions de Kharamidov dans son texte testamentaire, personne ne soupçonnait l’existence de textes cachés. Bien sûr, à première vue, cela n’avait rien à voir avec son assassinat, mais ça ne coûtait rien de vérifier. D’autant que ce n’était pas la seule bizarrerie de ces textes. D’abord ils semblaient n’être que des fragments, ensuite on ne savait absolument pas d’où ils provenaient, enfin ils étaient écrits en français… Or Kharamidov était Ouzbek et menait une existence cosmopolite. Djeff avait fait parvenir à Elstir les deux dernières années du fichier informatisé des cartes de crédit de Kharamidov: celui-ci n’arrêtait pas de parcourir le monde. Tantôt Tokyo, tantôt Rome, tantôt Paris, Londres, Los Angeles… Ce bonhomme était un vrai ludion, insaisissable, toujours dans des hôtels de luxe, toujours entre deux avions. Il aurait été logique qu’il inscrive ses messages en anglais international. Pourtant il avait choisi le français et de nombreuses autres analyses de Elstir sur les fichiers avaient échoué à repérer d’autres langues. Il fallait donc accepter cette évidence. À moins que Joseph, beaucoup plus qualifié que Elstir dans ce domaine, ne fournisse d’autres éléments. Mais, pour ça, il fallait attendre qu’il fasse signe.

Pour employer utilement ce temps, Elstir n’a pas chômé. D’abord il a créé toutes sortes de snifflers — des agents renifleurs, des “fureteurs” comme disent les francophones — tout petits programmes informatiques qu’il lâche dans le réseau dont ils parcourent tous les fichiers, chacun à la recherche d’un seul type d’information qu’ils rapportent aussitôt sur les mémoires de Elstir. Un d’entre eux, par exemple, ramène systématiquement tout ce qui traite de Kharamidov, un autre tout ce qui concerne le webart ou le cyberart, un autre encore piste les éventuelles manifestations sur le réseau d’Alexis Jonak… Tous ces petits travailleurs informatiques lui rapportent des moissons d’informations. C’est ainsi que Elstir a accumulé les informations nécessaires à sa thèse: il maîtrise très bien cette technologie à laquelle il a d’ailleurs lui-même apporté quelques améliorations non négligeables, notamment en ce qui concerne les procédures de tri.

Mais ça, c’est un autre sujet… D’ailleurs, il faut bien reconnaître qu’entre les fêtes et l’excitation qu’il éprouve à jouer au détective, sa thèse est un peu en stand-by. Il faudra bien qu’il s’y remette.

Pour l’heure, il est décidé à essayer de percer le mystère des textes cachés. Elstir est persuadé qu’il n’y a que trois hypothèses possibles:

— les textes ont été rédigés par Kharamidov et sont inédits, auquel cas il n’y en aura pas d’autre trace dans le réseau,
— ces textes sont des traductions inédites faites par Kharamidov lui-même: avec un peu de chance et de réflexion, en faisant appel au réseau des universitaires littéraires, il finira bien par trouver d’où ils proviennent, même si ça risque de prendre quelques jours,
— ces textes ont un auteur qui n’est pas Kharamidov et ont été écrits en français: dans ce cas, ils figurent obligatoirement quelque part dans le réseau.

Cette hypothèse est la plus facile à vérifier, aussi Elstir décide de commencer par elle. Il ne connaît dans le monde que quatre grandes bibliothèques proposant des bases de données en langue française de plusieurs centaines de milliers d’ouvrages: Genève, Paris, Bruxelles et, paradoxalement, Washington. Il suffit de les interroger toutes les quatre en faisant rechercher dans leurs fichiers les textes que Elstir a pu dégager des dessins. Elstir, demandant la transmission du fichier détecté, envoie les quatre textes aux serveurs des bibliothèques.