Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

25 décembre 2005

Inégalités

Londres, lundi 21/12/2015, 18:47:21

Elstir se souvient d’un film vu il y a quelques années. Ce film racontait la vie de deux enfants vifs, intelligents qui, parlant la même langue, se rencontrent un jour, par hasard, sur une plage de vacances, deviennent amis. Ils se promettent de se revoir. L’un est un petit européen venu prendre le soleil quelque part sur une île des mers du sud; l’autre un autochtone. Le film montrait, sur quelques années, leur évolution divergente. Le premier accède à toutes les possibilités culturelles du réseau, participe à de multiples échanges, communique avec de nombreux amis dans le monde, acquiert une culturelle universelle. Le second, enfermé dans sa culture locale sans ouverture, sans réseau de relations, isolé, ne peut même pas être joint par son ami… Si ce film avait un côté mélo un peu naïf, il montrait bien comment, deux ans plus tard, leur seconde rencontre ne pouvait, malgré une bonne volonté réciproque, qu’être un échec total.

À une autre échelle, c’était ce qui s’était produit. Alors que les différences culturelles tendaient à se fondre dans une communauté mondiale née du développement rapide du réseau, une part importante de la population — coupée du réseau — tendait à s’enfermer dans des cultures locales particulières ne communiquant presque plus. Ainsi, aujourd’hui, le monde se compose de deux humanités : une humanité policée, consciente d’appartenir à une communauté unique ; une humanité morcelée, divisée, inorganisée dont les comportements régressent vers la “préhistoire”… Il reprend:

“Alors que les crises économiques successives des années 80 et 90, révélatrices d’un bouleversement profond des structures mondiales du travail, avaient déjà commencé à créer des masses d’exclus, tout nouveau pas vers une culture du “cyberspace”, loin d’assurer une atténuation des divergences, accrut les divisions présentes, amenant peu à peu à une séparation complète entre ce que l’on appela dès lors “intégrés” et “désintégrés”.

Deux choix techniques peuvent être, en ce sens, considérés comme exemplaires.

Pour des raisons strictement économiques, les années 1990 à 2000 virent une place de plus en plus grande accordée à la monnaie électronique : le cybercash. Si les buts qui étaient d’assurer une plus rapide circulation des flux, réduire les sabotages que représentait la fausse monnaie, éviter des frais importants de traitement, furent atteints, une conséquence inattendue en résulta. La raréfaction de la monnaie comme moyen concret d’échange, son remplacement par une monnaie virtuelle pénalisa fortement tous ceux qui, pour une raison ou une autre, n’avaient pas accès aux circuits bancaires: économiquement faibles, chômeurs, travailleurs clandestins, marginaux, trafiquants en tous genres, petits condamnés de droit commun, communautés archaïques… L’absence de monnaie accentua leur marginalisation. Sa disparition chez les désintégrés fit ainsi réapparaître la pratique archaïque du troc avec toutes ses conséquences. La moindre n’étant pas l’absence de valeur commune de référence et d’arbitrage ainsi que la nécessité permanente pour chacun de réévaluer ses possessions même les plus dérisoires. La vie des désintégrés en fut de plus en plus soumise aux contingences du quotidien…"