Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

18 août 2006

Détresse

Tolag, samedi 26/12/2015, 02:47:50

Joseph ne peut pas s’endormir. Ce n’est pas la première fois. D’une part la conférence électronique l’a complètement excité, d’autre part la chaleur, malgré le faible courant d’air qui parcourt la vallée, est très lourde, oppressante, la nuit est moite. Il est un près de trois heures du matin, le noir étale du ciel explose de myriades d’étoiles, Joseph est sur sa terrasse qui, sous sa moustiquaire, semble pendue, comme un cocon d’araignée, à la nuit verticale de la montagne. Fasciné par cette stupide obstination de la vie à se perdre dans l’inutile, Joseph, immobile dans son hamac, un de ses chats en boule à ses pieds, contemple les nuées d’insectes — moustiques, papillons de nuit, capricornes, moucherons —, qui, ensorcelés par les promesses de la lampe, bourdonnent autour de lui, heurtent la moustiquaire, s’obstinent à déchirer leurs ailes sur le treillage, s’accrochent désespérément aux fils de la toile. La terre entière n’est peuplée que d’insectes infiniment trompés par les caprices de l’univers. Joseph attend parfois des heures sans autre but que de laisser le temps couler comme le sang d’une plaie grattée, d’oublier ce tremblement de terre qui, il y a treize ans, détruisant sa famille, a détruit sa vie. Il ne fait rien. Son seul geste est de s’emparer de la bouteille de Lagavullin posée près de lui, en retirer le bouchon, en boire, au goulot, une rasade… Jusqu’à ce que son esprit se vide. Il ne s’ennuie pas — il est au-delà de l’ennui — se laisse porter par le temps, invente de loin en loin une aventure à Ludwig ou Bertrand, une rencontre pour Charlotte, qui, lorsque l’absence sera trop lourde à porter, lui serviront à peupler le réseau avec la vie de ces enfants imaginaires… Pourquoi? Pourquoi pas? Aujourd’hui, hier, demain; faire ne pas faire… vivre, survivre, imaginer… Quelle importance? Son corps est une machine qui fonctionne sans but, sa tête un essaim d’abeilles. Il ne vit pas, il est vécu, extérieur à tout y compris à lui-même… Parfois la tentation du suicide le prend et, dans ses moments de lucidité, il se demande si ce n’est pas pour cela qu’il continue à vivre? De loin en loin, les cris lointains d’animaux étranges exaltent le silence mystique de la jungle.