Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

16 novembre 2006

Jean de Jandun

Daudinka, lundi 28/12/2015, 05:35:59

Norilsk était vraiment trop sinistre. Irina est partie vers l’Ouest… Une soixantaine de kilomètres, sur l’embouchure de l’Ienisseï dans le détroit de la mer de Kara. Elle est à Daudinka, petit port assez actif lorsque la mer n’est pas, comme en cette saison, prise par les glaces. De toute façon, il n’est pas vraiment sûr qu’elle ait gagné au change. Elle a trouvé une chambre chez l’habitant, dans un immeuble assez archaïque donnant sur le port. Peut-être un ancien hôtel particulier. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, il n’a plus rien de luxueux. Le confort est minimal.

Pourquoi n’arrive-t-elle pas à oublier son amour petersbourgeois ? Où se cache Jeff ? Leur amitié resterait-elle complice sans sa virtualisation totale ? Cinq heures du matin ! La journée va être longue d’autant que la neige qui inonde à flots les fenêtres ne laisse espérer aucune possibilité de promenade. Heureusement qu’elle a son travail. Et qu’il est assez absorbant pour lui permettre d’oublier, un temps — c’est déjà beaucoup — tout le reste.

Irina sort les mains de sous l’énorme couette de duvet qui la protège du froid glacial de la chambre, ouvre son portable, l’active. Le léger souffle régulier de la ventilation la rassure. Sa machine est un animal familier qui interpose sa présence entre l’angoisse de son maître et l’immense vide affectif où elle pourrait se perdre. Elle consulte son tableau de bord.

Le dossier Jean de Jandun a pris de l’ampleur. Ce serveur, très actif, ne cesse d’envoyer et de recevoir des fichiers. Elle en a consulté quelques uns. Leur lecture a confirmé ce qu’elle soupçonnait : Jean de Jandun est responsable d’un groupe adhérant à quelque chose comme une association dont le nom est Sarpedon. D’après les informations qu’elle a rassemblées, cette association est formée de quatre ensembles : un, Théïa, dirigé par un nommé Taddeo da Parma, dont le serveur semble être à Sion (Suisse, Europe) ; un autre appelé Hypérion, dirigé par un certain Siger de Brabant, dont le serveur est vraisemblablement à San Pedro da Roda, près de Barcelone (Espagne, Europe) ; un autre encore, Cronos, dirigé par Boèce de Dacie, serveur à Paris ; enfin, un dernier, Rhéa dirigé par Jean de Jandun, serveur à Zagorsk (Russie, Europe). Chacun possède son écusson. L’ensemble des écussons plus un cinquième, central, représente Sarpedon. D’après les messages qu’ont pu réunir les uns et les autres — Blaise, Jeff et Joseph sont d’accord là-dessus — il s’agit d’une association mystique, quelque chose comme une supersecte dont les responsables empruntent tous leurs noms à des penseurs de la mystique médiévale. Ces groupes échangent sans cesse des informations ; la plupart cryptées ; le plus souvent à l’intérieur de mandalas, comme l’a montré Joseph. Pour l’instant, une attirance pour la mystique et l’utilisation d’images comme transport de textes cryptés sont les seuls rapports qu’ils aient trouvés entre Sarpedon et Kharamidov. Ce n’est peut-être pas suffisant pour un assassinat… C’est un début de piste. En tout cas, ça permet de faire des hypothèses. Ou Kharamidov a découvert ce qu’il n’aurait pas dû découvrir, ou il était un traître à l’association, ou il a déformé leurs messages, ou il a profité de leurs secrets… Tout est possible. Ça semble plus solide que la piste homosexuelle de la police de Montréal. Celle-ci, d’ailleurs, commence aussi à s’intéresser à Sarpedon : elle a demandé des informations à ce sujet à Interpol Genève. Irina aimerait bien aller faire un tour dans ces eaux-là… Mais là, elle risque de se heurter à plus fort qu’elle. Elle peut cependant essayer : si ses tentatives passent inaperçues, elle sera tranquille. Si elle réussit à franchir leurs contre-mesures et se fait prendre, sa réputation n’en sera que plus grande. La seule situation embarassante serait d’être prise sans avoir franchi les pare-feu. Dans les zones de non-droit international où elle vit, régions tellement hostiles que n’y vivent que des désintégrés, elle ne risque physiquement rien. Pourtant, si le ridicule ne tue pas souvent, il blesse parfois cruellement.