Un algorithme de traitement des visages

Tolag, vendredi 25/12/2015, 13:33:53

Le ciel est une immense plaque d’acier brûlant. L’air est lourd, étouffant. Un nuage d’insectes bourdonne autour de la table installée sur la terrasse. De la jungle proviennent de nombreux cris. Il doit être environ treize heures. Joseph aime bien cette période inhumaine du jour où, autour de lui, la chaleur vide le monde des hommes, où la brûlure du soleil tend à faire oublier l’humidité étouffante des autres heures. Il termine une modification du logiciel de traitement d’images qui assure le principal revenu du village: un algorithme de modification dynamique en temps réel de portraits.

Il avait eu cette idée quelques années auparavant, alors qu’il ne songeait pas encore à se retirer du monde. La plupart des pays développés devenant de plus en plus désocialisés, le nombre de gens n’ayant plus de domicile fixe étant en augmentation constante, le volume des messages de recherches émanant de proches n’avait cessé d’augmenter. Dans un premier temps, Joseph avait eu simplement l’idée de mettre le réseau à leur disposition. Ce service s’était rapidement développé mais se heurtait au temps: les portraits restaient semblables à eux-mêmes. Or il arrivait fréquemment que celui qui désirait retrouver un proche, ne dispose que de portraits anciens, peu utilisables. Spécialiste des clonages visuels, travaillant pour le cinéma pour lequel il faisait vivre des acteurs morts, Joseph avait mis au point un algorithme qui, à partir de quelques caractéristiques simples — race, lieu de naissance, âge, taille—, faisait évoluer le portrait en temps réel comme si, à tous moments, l’on prenait une photographie du disparu. Une photo datant de 2005 introduite dans le service en 2013 vieillissait automatiquement le portrait de huit ans et celui-ci continuait à vieillir, sans aucune intervention. Quelques autres astuces comme la possibilité de modifier la coiffure, la couleur des cheveux, la barbe ou la moustache en avaient fait un instrument très performant. Depuis près de quinze ans, ce service lui assurait une source de revenus non négligeables sur lesquels vivaient les trois cent habitants du village de Tolag dont Joseph était maintenant considéré comme le chef.

Ses deux aides s’occupent de la maintenance quotidienne et du suivi financier. Lui, de temps à autre, apporte une petite amélioration à l’algorithme ou enseigne son fonctionnement pour que le village, après sa disparition, continue à en vivre. Rien de bien prenant. Joseph peut consacrer l’essentiel de son temps à ses deux remèdes: le Lagavullin et le sommeil qu’il finit par provoquer.