Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

07 mars 2006

Conversation mondaine

Montréal, mercredi 23/12/2015, 20:26:15

- Avez-vous été l'amant de Kharamidov ! avait brutalement jeté Michaelis à la face du jeune homme distingué.
- Suis-je obligé de vous répondre?
- Non, bien sûr!

Michaelis avait également essayé d’obtenir des renseignements plus circonstanciels:

- Connaissiez-vous un certain Alexis Jonak?

Personne ne le connaissait. Personne ne s’en étonnait. On savait que Kharamidov n’était pas sensible au milieu social de ses conquêtes. C’étaient même les seuls cas où son comportement pouvait paraître un peu choquant. Ce qui l’intéressait, c’était la beauté des jeunes hommes. Le reste… Aussi lui arrivait-il de draguer un peu n’importe où:

- Savez-vous qu’une fois où je l’avais invité à une party il est venu avec un jeune Tamoul ramené — je ne sais comment — des Indes… Un jeune homme d’une finesse merveilleuse je dois dire, un visage d’ange, des mains d’une grâce exceptionnelle… Et bien, quand il est reparti quelques jours plus tard, il lui a trouvé du travail, l’a installé et ne l’a plus jamais revu…

La maîtresse de maison paraissait perplexe.

- Il m’a dit un soir s’occuper parfois des désintégrés. Il faisait partie d’une association… Je crois… Je n’ai jamais su si c’était pour élargir son terrain de chasse ou par bonté d’âme…

Le gentleman qui raccompagnait Michaelis hors de son bureau ne parvenait manifestement pas à s’expliquer pourquoi Kharamidov fréquentait un tel monde.

- Nous nous sommes aimés quelques jours, il y a sept ans… J’en avais seize alors. J’avoue que c’est lui qui m’a fait découvrir l’amour: je lui en serai toujours reconnaissant… Pour Hamid, l’amour ne pouvait être qu’un plaisir intense, donc passager, et ne devait pas prendre le risque de s’enliser. Il refusait de s’attacher, de provoquer de la lassitude comme il disait. Il répétait toujours que l’amour ne pouvait exister que dans le risque permanent de sa réinvention. C’était un amant merveilleux d’une grande délicatesse…

La voix du jeune-homme alangui trahissait une certaine dose de regret langoureux.

- Un matin, après une longue nuit de fête dans ma résidence d’été, nous nous étions allongés sur le ponton, au bord du lac. Nous regardions se lever le soleil dans l’axe de la vallée. Le temps était merveilleux, l’air frais, ni humide ni froid, le silence profond… Je ne sais pourquoi nous nous faisions des confidences. Soudain il se mit à parler de son enfance difficile dans son pays, de l’impossibilité où il était d’avouer à qui que ce soit son attirance pour les jeunes hommes. Il en avait beaucoup souffert. C’est pour cela qu’il s’était exilé, très jeune. Il devait avoir quinze ou seize ans. Vous devinez comment il a pu vivre alors. Ça n’a pas dû être tous les jours agréables. Il me dit que son hédonisme venait de là. Il s’était juré, s’il s’en sortait, de ne plus se consacrer qu’au plaisir et à la beauté. Il était fidèle à son serment. Je crois que nous étions de vrais amis!

Cette jeune femme était la dernière de toutes les personnes que Michaelis avait rencontrées. Sa maison, au nord de Montréal, un manoir du XVIIIème siècle, s’élevait sur une petite colline, au fond d’un immense parc où l’on accédait par une longue allée de bouleaux. Aimable, elle avait fait entrer l’inspecteur dans un boudoir meublé avec goût devant une cheminée où flambaient des bûches. Un majordome avait servi le thé puis l’avait raccompagné jusqu’au perron devant lequel, à côté d’une splendide Rolls de collection, était garée sa minable voiture de fonction. La nuit était tombée, la clarté de la lune illuminait la neige couvrant ce qui devait être une vaste pelouse sur laquelle, ici et là, s’élevaient quelques statues protégées du gel par des manchons de paille.

Ray Michaelis s’était soudain senti très malheureux…

Lorsqu’il arrive au poste de police, il se dit qu’il a vécu une journée exécrable. En plus il va devoir se coltiner la rédaction d’un rapport alors qu’il n’a rien à dire. Ça va bien lui prendre une heure…

De bons amis

Montréal, mercredi 23/12/2015, 20:26:15

- Avez-vous été l'amant de Kharamidov! avait brutalement jeté Michaelis à la face du jeune homme distingué.
- Suis-je obligé de vous répondre?
- Non, bien sûr !

Michaelis avait également essayé d’obtenir des renseignements plus circonstanciels:

- Connaissiez-vous un certain Alexis Jonak?

Personne ne le connaissait. Personne ne s’en étonnait. On savait que Kharamidov n’était pas sensible au milieu social de ses conquêtes. C’étaient même les seuls cas où son comportement pouvait paraître un peu choquant. Ce qui l’intéressait, c’était la beauté des jeunes hommes. Le reste… Aussi lui arrivait-il de draguer un peu n’importe où:

- Savez-vous qu’une fois où je l’avais invité à une party il est venu avec un jeune Tamoul ramené — je ne sais comment — des Indes… Un jeune homme d’une finesse merveilleuse je dois dire, un visage d’ange, des mains d’une grâce exceptionnelle… Et bien, quand il est reparti quelques jours plus tard, il lui a trouvé du travail, l’a installé et ne l’a plus jamais revu…

La maîtresse de maison paraissait perplexe.

- Il m’a dit un soir s’occuper parfois des désintégrés. Il faisait partie d’une association… Je crois… Je n’ai jamais su si c’était pour élargir son terrain de chasse ou par bonté d’âme…

Le gentleman qui raccompagnait Michaelis hors de son bureau ne parvenait manifestement pas à s’expliquer pourquoi Kharamidov fréquentait un tel monde.

- Nous nous sommes aimés quelques jours, il y a sept ans… J’en avais seize alors. J’avoue que c’est lui qui m’a fait découvrir l’amour: je lui en serai toujours reconnaissant… Pour Hamid, l’amour ne pouvait être qu’un plaisir intense, donc passager, et ne devait pas prendre le risque de s’enliser. Il refusait de s’attacher, de provoquer de la lassitude comme il disait. Il répétait toujours que l’amour ne pouvait exister que dans le risque permanent de sa réinvention. C’était un amant merveilleux d’une grande délicatesse…

La voix du jeune-homme alangui trahissait une certaine dose de regret langoureux.

- Un matin, après une longue nuit de fête dans ma résidence d’été, nous nous étions allongés sur le ponton, au bord du lac. Nous regardions se lever le soleil dans l’axe de la vallée. Le temps était merveilleux, l’air frais, ni humide ni froid, le silence profond… Je ne sais pourquoi nous nous faisions des confidences. Soudain il se mit à parler de son enfance difficile dans son pays, de l’impossibilité où il était d’avouer à qui que ce soit son attirance pour les jeunes hommes. Il en avait beaucoup souffert. C’est pour cela qu’il s’était exilé, très jeune. Il devait avoir quinze ou seize ans. Vous devinez comment il a pu vivre alors. Ça n’a pas dû être tous les jours agréables. Il me dit que son hédonisme venait de là. Il s’était juré, s’il s’en sortait, de ne plus se consacrer qu’au plaisir et à la beauté. Il était fidèle à son serment. Je crois que nous étions de vrais amis!

Cette jeune femme était la dernière de toutes les personnes que Michaelis avait rencontrées. Sa maison, au nord de Montréal, un manoir du XVIIIème siècle, s’élevait sur une petite colline, au fond d’un immense parc où l’on accédait par une longue allée de bouleaux. Aimable, elle avait fait entrer l’inspecteur dans un boudoir meublé avec goût devant une cheminée où flambaient des bûches. Un majordome avait servi le thé puis l’avait raccompagné jusqu’au perron devant lequel, à côté d’une splendide Rolls de collection, était garée sa minable voiture de fonction. La nuit était tombée, la clarté de la lune illuminait la neige couvrant ce qui devait être une vaste pelouse sur laquelle, ici et là, s’élevaient quelques statues protégées du gel par des manchons de paille.

Ray Michaelis s’était soudain senti très malheureux…

Lorsqu’il arrive au poste de police, il se dit qu’il a vécu une journée exécrable. En plus il va devoir se coltiner la rédaction d’un rapport alors qu’il n’a rien à dire. Ça va bien lui prendre une heure…