Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

04 mars 2006

Une enquête

Montréal, mercredi 23/12/2015, 19:20:60

Tassé dans la voiture de police trop étroite pour ses cent deux kilos et son mètre quatre-vingt seize, les yeux fixés sur la route gelée couverte de neige fraîche, l’inspecteur Michaelis n’est pas vraiment en pleine forme. Il est même de très mauvaise humeur… Les repas de réveillon, ceux du jour de Noël constituent pour lui des épreuves redoutables auxquelles il n’est pas question de se dérober sans paraître mépriser le rituel familial. Un repas chez lui, un repas chez son frère aîné, un chez sa sœur cadette… D’une année sur l’autre, seul l’ordre change… En alternance… Évidemment, c’est à celui qui rivalisera le plus de luxe et de quantité. Refuser de manger est impensable… Se restreindre à peine moins admis. Être heureux et aimable signifie se bourrer jusqu’aux yeux d’une nourriture trop riche et de vins épais… Aussi, le 23 décembre fait-il toujours, pour Ray Michaelis, partie des jours difficiles. D’autant que des pesanteurs d’estomac et des jambes lourdes ne sont pas un prétexte suffisant pour prolonger les jours fériés…

S’il avait le choix, il quitterait volontiers la police. La vérité est qu’il ne sait pas bien que faire et qu’avec ses deux gamines il ne peut pas trop se permettre de prendre de risque… Il fait son boulot… Sans enthousiasme… L’enquête continue quand même…

Interpol a fait parvenir par mail ses recherches sur les numéros téléphoniques: Kharamidov a téléphoné à deux reprises le 16 décembre à Paris à un magasin à l’enseigne de “Sir Tarnepier”, apparemment une galerie d’art située rue de la Roquette; le même jour, un peu plus tard, en Côte d’Ivoire, dans la ville de San Pédro, au siège de la société Pierre Tarnis; le lendemain à Athènes, en Grèce (Europe) chez un certain Pradenos; le 19 décembre au monastère de San Pedro da Roda, près de Barcelone, en Espagne (Europe); enfin, à Osaka, au Japon (Asean), le 19 décembre encore, pendant sept minutes, au docteur Dorpe San, un psychiatre. Les enquêtes dans ces divers lieux n’ont rien appris de particulier, il semble que ces numéros n’aient correspondu qu’à des relations d’affaire, de travail ou de simples connaissances… Apparemment, après Montréal, Kharamidov envisageait d’aller à Paris puis, plus tard, à Osaka. Rien que de très banal. C’était un homme qui voyageait beaucoup, mais cela n’a rien de particulièrement remarquable. Les diverses polices locales disent essayer d’obtenir de plus amples renseignements même si rien ne prouve qu’elles les jugent indispensables.

Michaelis non plus n’est pas persuadé que ce soit utile. Tout prouve que Kharamidov a été assassiné par Alexis Jonak, son amant, recruté ou rencontré au Blue Jack. Une affaire de mœurs, banale, un divertissement de tarés qui a mal tourné. Jonak, affolé, s’est enfui. Il suffit de le retrouver — ce qui ne peut être qu’une question de jours — et l’affaire sera réglée. Rien de glorieux ni de bien passionnant, la routine… Si ça ne tenait qu’à lui, Michaelis aurait arrêté là après avoir lancé un avis de recherche. Mais ce n’est pas l’opinion du commissaire Baker. Pour Baker, tant qu’une enquête n’est pas bouclée et le coupable en prison, on n’en saura jamais assez. Quand ce mec a une idée fixe, il emmerde toute son équipe. Baker n’a rien trouvé de mieux que de coller à Michaelis une dizaine de noms de personnes qui ont connu Kharamidov — des artistes pour la plupart — vivant à Montréal ou dans les environs, et celui-ci a été obligé de se coltiner les banlieues enneigées alors qu’il ne doit pas faire beaucoup plus de moins trente sur la neige… Ça l’a pas vraiment amusé. D’autant que quand il entrait dans leurs baraques de riches avec ses godasses pleines de neige, tous ces mecs le regardaient de travers comme si ses chaussures allaient trouer leur plancher. Il ne savait plus où mettre sa grande carcasse.