Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

21 octobre 2006

Expédition nocturne

Paris, dimanche 27/12/2015, 21:57:21

Lorsque l’homme a terminé ses explications, les vingt jeunes gens, pour ne pas attirer l’attention, se dispersent, s’en vont en couple. Alcathe, à qui une lampe torche a été remise, part avec un nommé Nicostrate, jeune homme brun d’une vingtaine d’années, plutôt petit, trapu, large d’épaules, portant un sac à dos de nylon noir. Sans rien dire, ils remontent la rue du Temple, la suivent jusqu’à la rue des Gravilliers. À cette heure, dans ce quartier, les rues sont désertes, tout en leur donnant une curieuse impression de sécurité, les crissements de leurs pas sur la neige fraîche amplifient la profondeur du silence. Il fait noir mais le brouillard de neige enserre dans les murs une luminescence vague dotant le décor d’une tonalité irréelle ; la ville semble impalpable, évanescente. Alcathe éprouve un étrange sentiment de distance, il lui semble rêver qu’il marche, imaginer qu’il traverse la ville. Il est double: un Alcathe qui marche dans un monde virtuel, un Alcathe qui regarde le premier marcher. Aucun des deux ne se sent réellement concerné par l’autre; sans fin l’esprit ricoche sur ses deux mois, ne s’arrête jamais. Pour être sûr de ne pas rêver, il laisse sa main gauche glisser sur la rugosité des murs qu’ils longent. En vain. Malgré ce geste qui devrait lui permettre une conscience matérielle du monde, il ne se sent pas vraiment concerné. L’esprit — son esprit ; ou plutôt cet esprit qu’il sait être lui mais qui le regarde — est en-dehors de lui, dans un espace neutre où rien n’a d’importance ; ou, plus exactement, où tout a le même degré d’insignifiance.

Ils tournent rue des Vertus puis, presque aussitôt, sur la gauche rue Au Maire, traversent la rue Beaubourg: la ville semble vide, les désintégrés qui ordinairement la parcourent à la recherche de n’importe quoi à grappiller ont été chassés, peut-être par la neige et le froid. Peut-être par autre chose…

Au fur et à mesure qu’ils approchent de la rue de Turbigo, des bruits confus percent la masse assourdissante de la neige, un halo creuse l’épaisseur du brouillard.

- C’est là, chuchote Nicostrate, montrant, d’un signe de tête, la direction de la lumière.

Il s’arrête, pose son sac à dos sur le sol, l’ouvre :

- Sers-toi, dit-il à Alcathe.

Alcathe plonge la main dans le sac, en retire trois grenades, un long fouet en cuir roulé sur lui-même, un masque.

- Tu sais te servir des grenades, demande Nicostrate?
- Pas bien.
- Simple, tu enlèves cette goupille, tiens fermement la poignée et lance. Ça explose dix secondes après que tu as lâché la poignée.
- Pas de problème.

Nicostrate regarde sa montre :

- Une minute et on y va!