Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

19 février 2007

Détournement de cadavres

Vienne, mercredi 30/12/2015, 05:35:59

Dans une des cellules situées sous les toits du vieil hôtel de Sion, Jacques de Plaisance dort encore sur son futon de coton grège. Son projecteur d’écran s’allume lentement, une luminescence douce éclaire la pièce. Sur le mur le visage de Taddeo da Parma se dessine en gros plan pendant que se fait entendre une lente psalmodie. Jacques de Plaisance s’éveille :

- Bonjour, Jacques de Plaisance, dit Taddeo da Parma, Dieu soit avec vous.

Jacques de Plaisance regarde l’heure qui s’affiche en permanence dans un coin de l’écran, répond d’une voix encore un peu endormie :

- Bonjour, Grand Maître, vous me surprenez quelques minutes avant mon réveil… S’est-il produit un événement grave ?

La psalmodie s’estompe, puis disparaît lentement.

- Je tenais à te tenir moi-même au courant: David Peirse est mort cette nuit.
- C’est une bonne nouvelle grâce à Dieu… Je vous en remercie! Tout s’est-il bien passé ?
- Hélas pas tout à fait. Un des nôtres est mort aussi.
- Qui, demande Jacques de Plaisance d’un air inquiet?
- Cychrée.
- Ivan Maximoff ?
- Oui… Mais je vous serais reconnaissant de ne plus employer parmi nous son nom profane. Vous devez savoir mieux que quiconque quelle importance ont pour nous les noms de Dieu. Un Maître ne doit pas se permettre de telles erreurs.
- Pardonnez-moi, Grand Maître, mon esprit est encore un peu engourdi par le sommeil. Que s’est-il passé?
- Depuis le début, un certain nombre de circonstances malheureuses sont venues compliquer une affaire qui aurait dû être simple. Il est vrai que nous étions pressés. Trop peut-être, nous n’avions pas vraiment le choix.
- En effet, dit Jacques de Plaisance, ce Kharamidov nous a mis en danger. Mais croyez-vous que ce soit vraiment la faute de nos frères?
- Certainement non. Je pense plutôt que les forces du mal se sont liguées pour mettre à bas notre entreprise mais que, grâce à la bienveillance divine, nous avons pu les déjouer.
- J’ai quelques remords tout de même, poursuit Jacques de Plaisance. Quand je me suis aperçu que ce démon de Kharamidov avait, par hasard, décrypté un transfert de donnée dans un de nos mandalas, j’aurais dû agir plus efficacement!
- Peut-être… Peut-être pas. Valait-il mieux l’éliminer tout de suite ou essayer de l’acheter comme nous l’avons fait en lui commandant des œuvres pour le Musée des Littératures? Je n’en sais rien… De toute façon, Dieu est le seul maître. S’il nous a inspiré d’agir ainsi, c’est que cette attitude devait servir à son triomphe. Cette solution n’a pas été mauvaise : nous avons pu utiliser ses propres logiciels de cryptage pour notre œuvre. Ainsi notre adversaire sera un instrument de notre triomphe… Quoi qu’il en soit, si faute il y eut, vous l’avez rachetée pour le bien de tous.
- C’était mon devoir le plus sacré. Mais il était un peu tard, le démon commençait à se méfier. Les choses se seraient mieux passées si j’avais agis plus rapidement.
- Dieu seul le sait, dit Taddeo da Parma avec compoction. Peut-être… Peut-être aurions-nous pu éviter qu’il parvienne à infiltrer chez vous, à Montréal, un traître qu’il a fallu aussi renvoyer à Satan. Peut-être… Sans doute Dieu voulait-il que ce traître périsse ainsi.
- Sans doute. Sans doute est-ce aussi pour nous éprouver qu’il a permis à un des nôtres d’être tenté par le démon.
- Pitthée?
- Oui, Pitthée que les adeptes de Boèce de Dacie ont dû chasser de ce monde à Paris. De toute façon, si ce n’avait pas été à cause de Kharamidov, il nous aurait trahi un jour. Les nôtres ne peuvent pas être intéressés par l’argent. Je crois que Dieu nous a accordé la grâce de le découvrir à temps. Plus tard il aurait pu être plus dangereux encore.
- Dieu parle par votre bouche… Mais comment un être aussi bon et dévoué que Cychrée a-t-il pu être tué? C’était un des meilleurs d’entre nous.
- Aussi nous rejoindra-t-il dans notre prochaine Grande Réunification. Vous le savez. Dieu n’oublie jamais les siens. Pour faire cesser la curiosité de la police qui devenait gênante, il avait pour mission de faire disparaître du monde les cinq adeptes encore vivants de Montréal: vous, Ortygie, Arcas, Camiros, et lui-même. On n’a jamais intérêt à laisser les autres s’occuper de nous… Le conseil des Maîtres a décidé qu’il fallait empêcher l’incendie de se propager. Pour cela le mieux est de créer un contre-feu. Nos adeptes morts, la police arrêtera ses recherches. Cychrée nous a donc soumis un plan.
- Nous étions tous d’accord, le coupe Jacques de Plaisance, son idée était excellente: il proposait d’utiliser pour cela une des nombreuses batailles que se livrent des sectes rivales.
- En effet… Il se trouve qu’avant de trouver la vérité de notre église, Cychrée avait été séduit quelques temps par la fausse religion d’Ino. Quand il les avait quitté pour nous rejoindre, il ne leur en avait rien dit. Il lui était donc facile de revenir vers eux, de leur faire croire qu’il était toujours des leurs. Ceci fait, il lui suffit de payer les services de quelques désintégrés égarés pour qu’ils deviennent ses complices. Son groupe avait pour mission de provoquer une bataille sérieuse. Ce ne fut pas difficile. Un de ses sbires eut pour mission d’entrer chez les adorateurs de chiens, ces porcs d’adeptes d’Ouranos aussi féroces que des animaux et de les exciter contre les autres sectes de la région.
- Ce qui fut fait.
- Ce qui fut fait cette nuit à Turin. La bataille entre Ouranos et toutes les autres sectes locales, Ino, Phryxos, Hellé et Sciron notamment, a eu lieu cette nuit vers une heure.
- À voir votre satisfaction, remarque Jacques de Plaisance, ses résultats ont été conformes à nos attentes?
- Presque… Cychrée et ses mercenaires ne se sont pas beaucoup préoccupés de la bataille. Cychrée n’avait qu’un but: trouver parmi les combattants des individus pouvant à peu près passer pour vous, Arcas, Ortygie, Camiros, et lui. De les abattre, puis de laisser agir les chiens d’Ouranos de sorte qu’ils ne soient plus identifiables. Quelques brûlures ont parachevé l’affaire… Il a parfaitement réussi. Cinq cadavres devaient égarer la police. Malheureusement.