Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

04 juin 2006

Blaise Carver réfléchit sur son travail

Londres, vendredi 25/12/2015, 14:35:48

Carver ne sait que faire, songe à se mettre à la rédaction de sa thèse, mais il n’en a pas vraiment le courage. C’est quand même Noël ! Sortir ? Inutile d’espérer trouver des amis au club et le quartier sécurisé des pubs doit être désert. Il s’approche de la fenêtre, ouvre ses stores vénitiens. Le ciel est une immense couette de duvet grisâtre. La petite neige fine qui tombe sur Londres se liquéfie au contact du sol. Les rues sont grasses, froides… Il pourrait quand même aller se promener, faire un peu de jogging — les jardins publics des quartiers sécurisés, patrouillés sans cesse par des gardes ou des milices, sont sûrs, les désintégrés ne s’y aventurent que rarement —, mais l’idée d’être libre comme un animal de zoo, de se déplacer à l’intérieur d’un espace balisé lui a toujours déplu. S’il supporte cette situation lorsqu’il n’est pas seul, aujourd’hui ce serait au-dessus de ses forces. En fait, il est d’assez mauvaise humeur et ça risque de ne pas s’arranger: Laurence ne revient que dans deux jours.

Blaise cherche un livre dans sa bibliothèque, s’affale dans un fauteuil mais son esprit est si morose qu’il n’arrive pas à lire, demeure bras ballants, esprit vacant, dans un ennui des plus démobilisateurs. Il flotte une bonne demi-heure ainsi, regard perdu dans le rectangle gris de la fenêtre, dans une sorte de mollesse inactive. Son esprit, insatisfait, effleure, sans raison particulière, tout sujet qui se présente. En désespoir de cause, après avoir épuisé toutes ses manœuvres habituelles d’évitement, il active son projecteur, se promène sans but dans les icônes, zappant d’un écran à l’autre, s’oblige à sortir de son apathie, se décide pour Kharamidov.

La masse des informations accumulées est un peu décourageante. En quatre jours plusieurs centaines de pages: rapports de la police de Montréal, recueils d’articles sur Kharamidov, textes extraits par Joseph des images cryptées, remarques de Jeff, textes de conférences, échanges d’un forum de turcologues… même la thèse d’un étudiant en art de l’UQAM, Université du Québec à Montréal ! Et de tout ça, les analyseurs automatiques ne semblent pas avoir rapporté grand-chose. Personne ne s’est aperçu que Kharamidov cryptait ses images. Pour l’essentiel, la thématique des articles porte sur le Webart. Ce n’est pas ce que Blaise recherche: il est un peu déçu. Après ce qu’il a affirmé à Laurence, il pensait que le réseau lui apporterait des informations plus intéressantes; non… Bien sûr, ils progressent, commencent à mieux cerner le personnage, mais Blaise doit reconnaître que c’est au prix d’une enquête classique, menée dans le réseau, à distance, avec des agents électroniques, mais une enquête quand même qui ne pourrait se faire sans intervention ni analyse des enquêteurs. En fait ce que le réseau permet c’est un accès rapide à des masses de données éparses car pour autant il ne construit jamais d’hypothèses — même s’il permet d’en vérifier certaines. Internet n’a d’intérêt que par les cerveaux qui l’exploitent. S’ils progressent comme il le pense, c’est parce que la toile fédère des cerveaux. Avec davantage de temps, cela aurait pu se faire avec des moyens plus archaïques. Les véritables apports du réseau sont l’exhaustivité et le temps réel ; rien d’autre en dépit des diverses utopies enthousiastes auxquelles il a donné le jour.