Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

25 avril 2006

Karine a le blues

Montréal, jeudi 24/12/2015, 23:40:36

À cette heure, les bureaux de la police de Montréal sont encore plus vides que d’habitude. La plupart des employés réveillonnent. Par les fenêtres, on ne voit plus que la neige qui s’est remise à tomber en abondance enfermant les locaux dans un cocon. Karine Leknar est de service.

Comment deviner? Jeune recrue de la police de Montréal, venant de Vancouver, elle n’avait pas encore eu le temps de se créer un réseau d’amis. Aussi appréhendait-elle un peu la fête qui s’annonçait, elle risquait de se retrouver seule au milieu de la joie collective. Il n’était pas non plus question d’aller dans une de ces soirées commerciales organisées où l’on paie pour se forcer à feindre de s’amuser. Elle a toujours eu horreur de ça. Elle préfère un bon film en “TV à la demande” ou en “Pay-Per-View”. Parmi les centaines de chaînes, elle n’a que l’embarras du choix: toutes les filmothèques du monde à portée de son ordinateur. Elle peut même choisir un opéra “live”, ou en retransmission, extrait des archives, ou une pièce de théâtre ou n’importe quoi d’autre, un livre téléchargé par exemple… un livre tout simplement… En fait, cet embarras du choix traduit un manque absolu de désir réel. Ce qui l’aurait vraiment intéressé aurait tout simplement été de passer une soirée avec des amis autour d’une table à bavarder de choses et d’autres et à faire des plaisanteries plus ou moins fines. Mais ça, toute la richesse culturelle du réseau, pas plus les “chat lines” — les “babillards” — que les groupes de discussion, ne peut le fournir…

Elle n’avait pas vraiment envie de rentrer chez elle. L’idée — que d’habitude elle envisageait avec plaisir — de se retrouver dans son studio de banlieue, entre ses quatre murs, devant un quelconque spectacle projeté l’angoissait. Elle avait beau se dire qu’après tout Noël n’était qu’un jour comme un autre, qu’il y aurait d’autres réveillons, que ce n’était pas parce que, pour une fois, elle était seule qu’elle devait en faire un drame.

Elle était envahie d’un incontrôlable sentiment de mélancolie: pourquoi avoir demandé d’être de service. Elle aurait, maintenant, de loin préféré passer le réveillon avec Jordan… Si elle avait su !

Karine écarte les lamelles grisâtres des vieux stores vénitiens déformés isolant la fenêtre de son bureau, regarde rêveusement passer les énormes flocons de neige surgissant d’un ciel si noir qu’il semble empaqueter les immeubles de verre et d’acier. La rue étant trop peu large, elle ne peut, de son dixième étage, voir que les bureaux maintenant vides de l’immeuble d’en face et leur vide l’attriste.