Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

23 juin 2006

Buchanan a le blues

Montréal, vendredi 25/12/2015, 11:29:59

Bien que Baker ait jugé inutile qu’il revienne au bureau, Jim Buchanan prend prétexte de l’enquête pour laisser croire à sa famille que, comme il l’a dit en partant, il était indispensable. Pour sa femme, l’appel du commissaire ne pouvait que confirmer ses dires.

Il est plus de onze heures, le ciel très clair, le soleil qui enflamme la neige fraîche produisent une telle luminosité que l’on se croirait en plein été. Le thermomètre est tombé au-dessous de moins vingt degrés centigrades.

La pension Peirse est en proche banlieue. En ce jour glacé de Noël la circulation est nulle: Karine est partie avec la voiture de service, lui avec la sienne. Il ne tarde pas à parvenir en ville. Les rues sont encore désertes, Buchanan, qui a décidé de passer par la rue Saint-Denis, a beaucoup de mal à trouver un café ouvert où boire un whisky. Aller à son bureau est un prétexte. Il le sait. S’il voulait fuir l’atmosphère lourde de sa famille, les cris des mômes, les banalités des adultes, pour une autre, anonyme, plus détendue… plus sympathique. C’est raté: les quelques rares buveurs qui fréquentent le café sont des solitaires qui, ne sachant où aller, traînent sans but, cuvent leur solitude jonchés sur des tabourets de bar… ou des prostitués — mâles et femelles — qui font leur boulot. Rien de ce que cherche Buchanan. Il n’a pas envie de partager toutes les misères du monde. Ce qu’il aime, c’est rencontrer des gens normaux, intelligents, bien dans leur peau, qui lui donnent envie de parler d’autre chose que de sa vie quotidienne. Buchanan aime être du côté des gagneurs, refuse de se laisser assimiler aux éternels perdants geignards.

Trop tôt pour retourner chez lui. Son départ ne serait plus vraisemblable. De plus ça ne lui dit rien. Le mieux est d’aller au bureau. Il pourra au moins discuter un peu avec les collègues de service, peut-être, profiter de son temps pour jeter un œil sur ce qu’il y a de nouveau dans l’affaire Kharamidov. Il règle sa consommation, reprend sa voiture. Dans les bureaux de la police, presque personne: le planton de service, un standardiste qui enregistre les inévitables plaisanteries de Noël, une ou deux patrouilles qui, pour leur éviter de mourir de froid, ramassent les ivrognes chassés dans les rues par la fermeture de la ville souterraine, Roy Barkinson, un inspecteur pour lequel Buchanan n’éprouve pas de sympathie particulière. Personne avec qui échanger autre chose que les inévitables “Joyeux Noël” et quelques banalités sur les fêtes, les enfants, la vie de famille: tout ce que Jim vient de fuir. Il se réfugie dans son bureau.