Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

20 décembre 2006

Survivre

Tolag, mardi 29/12/2015, 08:39:52

Joseph se lève, sa nuit a été agitée de nombreux cauchemars: sa bouche est pâteuse. Il éprouve une sensation de gueule de bois. Il ne devrait pas boire autant, mais, le plus souvent, il est incapable de se raisonner… Déjà, le soleil dépasse la crête des montagnes, enflamme les toits de paille de riz du village accroché aux terrasses d’eau vertes où se vautrent quelques buffles. Par les sentiers étroits qui serpentent sur les bords des digues, une vieille villageoise, courbée, dos écrasé par une charge de petit bois revient de la jungle. Quelques enfants se poursuivent entre les paillotes. Le toit de tôle ondulée de la petite école s’illumine. Un chien noir, miteux, efflanqué rôde à la lisière du village. La journée promet d’être magnifique, chaude… Joseph s’extrait de sa moustiquaire, descend de son hamac. Un de ses mainates tourne vers lui un œil interrogateur ; sous les pilotis, les petits cochons noirs, grognant, fouillent le sol de leur groin. Joseph se gratte le dos, passe les doigts de sa main gauche dans sa barbe broussailleuse, s’étire au soleil. Il va bien falloir qu’il songe sérieusement à se laver et se raser, sinon il va être bouffé de vermine.

Il allume son petit réchaud à gaz, se prépare un bol de café fort. Sur l’écran toujours allumé de son ordinateur portable, trois clones sont actifs: le premier représente Irina — cette russe de leur groupe d’enquête — le second est celui de Blaise, le troisième un correspondant de Bertrand, l’un de ses fils fictifs. Grande-Bretagne, où il doit être moins d’une heure du matin ; Sibérie, où il est un peu plus de sept heures; Australie, où il est plus de dix heures. Joseph aime que le monde entier converge vers son inexistence. Ne manque que l’Amérique prête à entrer dans une nouvelle nuit. Alors, il couvrirait le monde. La satisfaction n’est pas très importante, mais quand même… Joseph boit une gorgée de son café, grimace. Pour tout dire, ce breuvage est assez infect. Son seul mérite est de contribuer à lui remettre les idées en place. Joseph n’a pas très envie de s’occuper du correspondant de Bertrand. Il n’a pas l’esprit assez clair pour imaginer des aventures intéressantes pour ses treize ans fictifs; encore moins pour aller tourner un petit film vidéo qui les crédibiliserait. Les vies imaginaires de Ludwig, Bertrand, Charlotte et Witt peuvent bien attendre. De toute façon, elles ont l’éternité devant elles. Il suffit que Joseph en décide ainsi. Blaise et Irina correspondent mieux à son état d’humeur. Ils vont l’aider à penser à autre chose, sortir de cette rumination morbide qui, comme d’habitude, accompagne son réveil. Pour cela, il va les regarder vivre. Après tout, depuis près de trois jours, depuis qu’il a transmis les premiers décryptages d’images à Blaise, il n’a rien de spécial à leur dire. Ses logiciels se sont contenté de tourner sur d’autres images, ils ont trouvé d’autres textes cachés… Rien de particulier. Une fois que la méthode a été comprise, rien ne change. L’excitation de la nouveauté est bien tombée. Ce qui, maintenant, l’intéresserait, c’est d’en savoir un peu plus. Les réponses du forum des linguistes ont été un début de réponse : elles ne lui suffisent plus. Joseph est maintenant à ce stade où, après l’exaltation des premières hypothèses, chaque découverte marque le pas, s’interroge sur elle-même jusqu’à ce qu’elle aboutisse à de nouvelles directions qui relancent l’intérêt… ou s’épuise. Joseph, ce matin, ne se sent pas du tout combatif. Pour tout dire, une fois son café bu, il se rallongerait volontiers dans son hamac pour commencer sa journée au whisky. Faire autre chose lui demande une volonté extraordinaire.