Un blog de l'hyperfiction intitulée "La disparition du Général Proust" : Général Proust, Les écrits de Marc Hodges, Vie sexuelle de M H, Jean-Pierre Balpe, Un roman de Marc Hodges, Les inédits de Marc Hodges, Le journal de Charlus, Les poèmes de JPB, Le premier album photo de Marc Hodges, Le second album photo de Marc Hodges, L'album photo de JPB, Le carnet d'Oriane, Les poèmes érotiques de MH à G, Les écrits de Jean-Pierre Balpe"… Extrait du roman La Toile (ed. Cylibris)

18 juin 2006

Intelligence collective

Saint-Pierre-des-Tripiers, vendredi 25/12/2015, 16:42:50

Jeff lit d’abord avec beaucoup d’intérêt le rapport de Joseph puis consulte les dernières informations parvenues de Montréal. Certaines, celles concernant David Peirse, produites à Montréal vers 9 heures 15, heure locale, ne sont, à cause des cinq heures de décalage horaire, vieilles que de quelques minutes. Les relations entre le meurtre de Kharamidov et les pensionnaires Peirse, notamment ce qui concerne David, le fils, lui semblent prendre un tour nouveau. Jeff se dit qu’il doit s’agir d’une banale affaire de mœurs, peut-être compliquée de jalousie ou de rivalités financières qui pourraient expliquer la mort d’Alexis Jonak. Il ne comprend pas bien d’où vient l’intérêt de Carver pour cette affaire. Chaque jour des dizaines de faits divers de ce genre doivent se produire dans le monde. Est-ce Kharamidov qui intéresse particulièrement Blaise, est-ce une recherche qu’il veut faire pour les besoins de sa thèse? Depuis toujours, sur le réseau, lorsque l’un d’entre eux réunit des forums d’experts, existe une loi implicite de discrétion: ne jamais essayer de vérifier les raisons qui poussent l’un ou l’autre à faire appel à ses amis. Ainsi le “maître d’œuvre”, parce qu’il est à l’origine constitue comme une clef de voûte, la pièce maîtresse seule à même de rassembler tous les morceaux du puzzle: chacun reste libre de ses recherches et peut, à tour de rôle, devenir chef d’orchestre. Jeff ne demandera rien à Blaise… Ce qui ne l’empêche pas d’essayer de comprendre. Cette recherche seconde — recherche des raisons de la recherche — constituant en elle-même une part non négligeable de sa propre stimulation intellectuelle.

Jeff ouvre le sous-dossier “Renseignements sur Kharamidov”. Il est constitué de cinquante-sept fichiers rapportés par ses agents intelligents qui furètent sans cesse dans le réseau. Il y a là cinquante-cinq articles de la cyberpresse, la plupart en anglais, seuls trois d’entre eux, repérés par leurs “abstracts”, sont dans d’autres langues: un article allemand, un français, un turc. Le cinquante-sixième fichier est un livre intitulé “Kharamidov, l’art de l’interférence” dont les informations disent qu’il comporte deux cent pages de texte et cent vingts-cinq illustrations. Le cinquante-septième est une notice sur une exposition récente diffusée par le Virtual Contemporanean Museum de Los Angeles. Jeff ouvre au hasard un des articles qu’il parcourt rapidement: un critique quelconque analyse, en terme d’esthétique, l’intervention posthume de Kharamidov sur le réseau… Rien de bien passionnant… Jeff décide de faire résumer tout cela par une analyse conceptuelle qui, bien que n’ayant pas la fiabilité d’une lecture humaine, permet d’estimer le contenu statistique de l’ensemble des fichiers analysés, donc de repérer assez précisément les éventuelles informations originales. Hélas, ses logiciels ne travaillent que sur quatre langues — anglais, français, espagnol, allemand — ils ne pourront donc rien lui dire sur l’article turc. C’est d’ailleurs là un des derniers problèmes du réseau — un des derniers espaces de liberté — les langues naturelles sont insensibles aux algorithmes de décryptage et si quelqu’un décide de produire des informations en toungouse ou en tagalog, aucun système automatique ne peut les analyser. Pour cette raison, de plus en plus de forums spécialisés communiquent dans des langues rares. Ce retour dans l’histoire de quelques unes des trois mille langues en voie de disparition au cours du XXème siècle, n’est pas pour déplaire à Jeff. En termes de valeur informative, l’occitan a plus de valeur que le français; le jonkha plus que l’anglais…