Les dessins de Jeff
Tolag, samedi 26/12/2015, 02:57:40
Sa bouteille est vide. Il doit se lever, aller en chercher une autre dans l’unique pièce de cette maison sur pilotis qu’il ne quitte jamais. Maintenant qu’il a bougé, se recoucher est un choix… un effort comme un autre. Joseph est habité de rituels qui le maintiennent en vie. Tout mouvement est une rupture. Sa seule activité réelle est virtuelle. Sa participation à la communauté humaine distante est impalpable. S’il s’est enfermé dans la manipulation des images, c’est certainement pour cela, pour cette déréalisation constante qu’elles lui permettent: pour lui, un paysage, un visage, ne sont que des suites de chiffres, quelque chose de purement insignifiant où tout peut être tout et n’importe quoi.
Il ouvre sa bouteille de Lagavullin, en boit une gorgée, s’assied dans son fauteuil à bascule, allume son ordinateur portable. Une façon comme une autre de passer la nuit, d’attendre que l’alcool et la fatigue aient raison de sa résistance, de s’oublier dans l’inexistant. Les dessins que lui a fait parvenir Jeff sont séduisants, étranges, de grands cercles colorés enfermant quelque chose comme des labyrinthes carrés aux couloirs pleins d’une multitude de symboles variés de couleurs différentes. Blaise les a appelés des “mandalas”. Son dictionnaire électronique lui dit qu’ils “illustrent symboliquement dans le bouddhisme le Grand véhicule et le tantrisme, aspect du monde physique en relation mystique avec le divin”. Tout ça lui est de peu d’importance, il ne sait rien de ce “Grand véhicule”… Toute curiosité intellectuelle impliquant de sortir de soi, Joseph n’a aucune envie de chercher à le savoir. Jamais, même dans ses moments de pire désespoir, il n’a éprouvé la moindre tentation mystique. Joseph est seul pour l’éternité.